ALEXANDRIE

23 mars 2008

Alexandrie est la deuxième ville d'Egypte, juste après Le Caire. Cette cité au passé prestigieux est devenue moderne au XIXème siècle, sous l'impulsion de Mehemet Ali. En faisant creuse le canal Mahmoudiya, qui permet de rejoindre le Nil, le vice-roi d'Egypte fait renaître la ville de ses cendres. Dès cette époque, Alexandrie retrouve son importance, les étrangers affluent afin de pouvoir profiter de la vague d'industrialisation, liée notamment au commerce du coton.

C'est dans une fabrique de coton, que nous retrouvons Georges Worloou, l'homme travaille dur. Il faut dire qu'il a déjà six enfants à nourrir. De plus, Sophie, son épouse attend son septième bébé.

Celui-ci né le 8 février 1915, vers 22 heures 30 dans le quartier Salah El Dine. Artemis, Christos, Costas, Anguelos, Kety, Savas ont un nouveau petit frère. Lambros, c'est son prénom, fait ses premières vocalises.

Le septième enfant, c'est un don de Dieu. Lambros vit une enfance heureuse, où les aînés s'occupent de l'éducation des plus jeunes.

Il admire ses parents, son père : Georges, bien que modeste employé, travaillant dur, n'hésite pas le soir venu à prendre sa guitare et à chanter pour les siens.

Comme son salaire ne suffit pas aux besoins de cette grande famille, Sophie, la mère, lors de ces nuits de veille, confectionne des chapeaux.

Lambros admire sa mère. Elle porte seule tout le poids du ménage et de l'éducation de ses nombreux enfants!

Dans "Ma route fleurie de chansons", il se souvient : <<...Mes souvenirs les plus lointains sont plein de soleil, de sable doré, de mer bleue, de jeux d'enfants(...)

Je suis gâté, choyé par mes parents et par mes deux grandes soeurs. J'ai tendance, paraît-il, à abuser de mes prérogatives de benjamin...>>.

Être le pôle d’attraction, celui qui brille, les premières années d’une vie sont déterminantes pour la suite.

Son titre de benjamin lui est ravi trois ans plus tard avec l'arrivée de son frère Elias, suivi deux ans après par la naissance de sa soeur Egyptia.

« Près de cette toute petite fille, mes six ans me semblent importants ; je suis conscient de mes responsabilités. Je passe de longs moments près de son berceau ».

Dans ses souvenirs, parus en 1947, dans Cinévie, Georges raconte : <<Sous l'autorité incontestée de ma mère, notre petite armée se levait chaque matin à six heures - on se lève très tôt dans ces pays - et était envoyée au lit le soir à huit heures. Dès que nous étions assis à la table familiale, il nous était interdit de parler jusqu'à la fin du repas. Le reste du temps, nous étions à l'école, les filles d'un côté, les garçons de l'autre, avec leur petit crâne rasé : là-bas, tous les garçons sont rasés jusqu'à quinze ans...>>.

A l'école, au milieu des garçons de son âge, il apprend le grec, la langue de ses grands-parents, originaires de Samos et de Leros. Ceux-ci avaient fuits la guérilla greco-turque. Son grand-père transforma son patronyme : Worloglou en Worloou.

Mais, en dehors de l'école, il parle arabe avec ses copains et devient vite « celui qui brille ». Georges se souvient : <<...Je deviens alors, l'un des plus bruyants, des plus turbulents d'une bande dont je suis le chef. Les jeux que j'apprends de mes frères aînés, les livres d'aventures qu'ils me lisent et dont je fais état auprès des gosses de mon âge, me valent ce poste brillant. Pendant des mois, je suis le capitaine des corsaires qui, régulièrement, chaque soir, attaquent Paris...>>.

Paris! C'est à Paris que son oncle Tasso, le frère de sa mère, joue du piano...

Paris, c'est le bout du monde. Pour l'heure, Lambros se contente de rêver, d'écouter son père qui, s'accompagnant à la guitare, chante à sa femme les nostalgiques chansons grecques qu'elle aime. Quand son père chante, rien ne peut distraire le jeune Lambros. Les appels de ses copains restent vains. Il reste sourd à leurs cris.

Un soir, son père revient avec un vieux phono à pavillon acheté chez un brocanteur avec un document "historique" : l'ouverture de Rigoletto enregistrée par un grand orchestre européen. Lambros est enchanté... Les années passent...

Son frère Christos, de quinze ans son aîné, l’aide pour ses études et voit son avenir dans une importante compagnie d'assurances d'Alexandrie et décide, en accord avec ses parents, qu'une fois les études terminées, Lambros suivra des études commerciales afin de le seconder.

Lambros fait partie du club sportif du lycée et se défend assez bien dans de nombreuses disciplines. C'est à cette période qu'un deuil frappe cruellement sa famille.

Ce dimanche-là, Angelos, son troisième frère, qui a vingt ans, doit disputer un championnat de course à pied. Lors de l'épreuve du quatre cents mètres, il arrive le premier, mais s'écroule sur la ligne d'arrivée. Son coeur a lâché. Georges raconte : <<...De ce malheur, mes parents ne devaient jamais se remettre., mais ils ne veulent pas assombrir notre jeune vie (...) Il faut bien continuer à vivre...>>.

Lambros s’entraîne, devient lui à son tour champion scolaire et ses nombreuses performances sportives : le 110 mètres haies en 16 secondes, le 100 mètres en 13 secondes, le 200 mètres en 25 secondes, le relais 4 fois 100 mètres, le saut en longueur (6m28), le lancement du disque grec à 32 mètres, ainsi que son nom dans le journal local, font de lui la vedette de chaque rencontre interscolaires et les filles viennent se trémousser autour de lui. Il reste « celui qui brille ».

Chaque victoire amène une fête, où avec ses copains, un petit groupe de cinq musiciens et chanteurs, il chante et joue de la guitare toute la nuit.

Parmi ses copains, se trouve le père de Démis Roussos. On les appelle de partout pour égayer les mariages ou animer quelques petits galas en Haute Egypte.

"Je ne suis pas tellement vaniteux et la joie de gagner me suffit, mais je suis amoureux et il me semble que mon nom dans le journal peut me donner une supériorité aux yeux de Loulouka, ravissante jeune fille de quinze ans".